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Entretien

Contrôle des frais de représentation, transparence... pourquoi le CESE a besoin d'une révolution déontologique

Alors que l’examen du projet de loi organique réformant le Conseil économique social et environnemental (Cese) a débuté mardi 8 septembre devant l’Assemblée nationale, l’Observatoire de l’éthique publique (OEP) regrette l’absence de mesures déontologiques visant à moderniser le fonctionnement de cette institution. Son directeur général, Matthieu Caron, détaille ses propositions phares pour renforcer l’éthique du Cese.

Contrôle des frais de représentation, transparence... pourquoi le CESE a besoin d'une révolution déontologique
Le président du Cese Patrick Bernasconi Blondet Eliot/ABACA

Le projet de loi organique examiné par l’Assemblée vise à transformer le Cese en “chambre des conventions citoyennes.” Objectif : en faire un acteur incontournable de la démocratie participative à la française, conformément au souhait du président Emmanuel Macron. Outre le renforcement de la portée des avis de l’institution sur les projets du gouvernement, le législateur doit se prononcer sur la numérisation de la procédure de saisine du Cese par pétition (500.000 signatures nécessaires) et la réduction du nombre de ses membres, de 233 à 175.

Capital : Matthieu Caron, vous avez identifié que le projet de modernisation du Cese manque cruellement d’un volet déontologique ?

Matthieu Caron : Le projet de loi organique se concentre avant tout sur la rénovation et l’extension des prérogatives du Cese et c’est là le principal. Il est vrai, cependant, que le texte présenté par le gouvernement ne comporte aucun volet relatif à la transparence et la déontologie. Si bien que nous avons fait paraître une note pour attirer l’attention du législateur sur ce point. Pour l’essentiel, nos propositions ont été reprises sous forme d’amendements déposés par la vice-présidente de l’Observatoire, Laurianne Rossi, par ailleurs questeure de l’Assemblée nationale et députée de la majorité. Il s’agit d’une des marques de fabrique de l’Observatoire : faire œuvrer ensemble des chercheurs et des parlementaires, de manière transpartisane, à la progression de l’éthique publique dans notre pays.

Capital : Contrairement aux règles en vigueur à l’Assemblée et au Sénat, l’utilisation des frais de représentation accordés aux membres du Cese ne fait l’objet d’aucun contrôle. Cette opacité est-elle encore acceptable, en 2020 ?

Matthieu Caron : Chaque conseiller du Cese est rémunéré environ 1.800 euros par mois et dispose d’une enveloppe de frais de mandat du même montant. Jusqu’à présent, cette indemnité représentative de frais a été versée de manière forfaitaire sans que les conseillers aient à justifier de leurs dépenses. Il est temps qu’un cadre soit fixé. Deux solutions sont envisageables : soit le Cese s’inspire du dispositif de l’Avance de frais de mandat de l’Assemblée nationale et du Sénat qui repose sur un système de justification de chaque dépense engagée ; soit il faut fusionner la rémunération des membres avec leur enveloppe de frais. Mais dans ce cas, il faut fiscaliser l’ensemble de cette rémunération.

Capital : Quelles sont les autres recommandations de l’OEP pour encadrer la déontologie des membres du Cese ?

Matthieu Caron : Parmi nos dix propositions, nous suggérons prioritairement la mise en place un déontologue du Cese. Ce déontologue serait chargé de rédiger le code de déontologie de cette troisième chambre de la République, et de le faire respecter. Il nous semble également important que les conseillers remettent chaque année un rapport dressant le bilan de leur activité au sein du Cese pour mieux faire taire les critiques au sujet de la prétendue inutilité de leur institution. De manière générale, nous plaidons pour que le Cese s’engage dans une politique d’ouverture de ses données au public.

Capital : Vous avez salué l’esprit d’ouverture des membres du Cese sur la déontologie. Est-ce à dire que son président, Patrick Bernasconi, soutient toutes les mesures que vous défendez ?

Matthieu Caron : Nous avons pris attache avec les autorités du Cese et manifestement, elles ont pleinement conscience du fait qu’il n’y aura pas de réforme du Cese réussie sans révolution déontologique au sein du Palais d’Iéna. Un projet est déjà sur la table en interne mais il appartient au législateur d’en fixer les grandes lignes au préalable dans le marbre juridique.

Capital : Vous souhaitez des règles de transparence au Cese. Or, Eric Dupont-Moretti, qui a présenté le projet de loi au Conseil des ministres en juillet dernier a déjà exprimé son peu de goût pour cet exercice. Craignez-vous une “résistance” du gouvernement, par rapport aux évolutions que l’Observatoire suggère ?

Matthieu Caron : Le garde des Sceaux assume le fait de ne pas être un grand partisan de la transparence de la vie publique et nous respectons son point de vue. D’ailleurs, l’Observatoire est tout à fait conscient des dangers d’une transparence névrotique, – y compris dans la sphère publique – et il n’a jamais cessé de le répéter. Or, si l’on peut parfaitement concevoir que le pouvoir exécutif ne veuille pas reprendre pour le moment notre proposition de créer un déontologue du gouvernement, l’institution d’un organe et d’une politique de déontologie au sein du Cese devrait soulever moins de difficultés. Je ne doute pas qu’une majorité de parlementaires soutiendra les amendements qui ont été déposés et que le ministre de la Justice saura faire la part des choses. Personne ne saurait oublier que la première loi du quinquennat du président Macron, – la loi du 15 septembre 2017 –, portait symboliquement sur la transparence de la vie publique. On imagine mal le gouvernement revenir à l’ancien monde de l’opacité.

Capital : Parmi les dix propositions de l’OEP, quelles sont celles qui seront présentées prioritairement par amendements en commission des Lois ?

Matthieu Caron : L’institution d’un déontologue du Cese demeure la mesure phare de ces amendements. Mais attention, il faut concevoir le rôle de tout déontologue comme celui d’un conseiller et non comme celui d’un surveillant ou d’un censeur. La bonne déontologie est celle qui cherche à faire progresser le réflexe éthique de chacun, pas celle qui affirme que les règles peuvent changer à elles seules les comportements individuels de tous.

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Publié le 09/09/2020 ∙ Média de publication : Capital

L'auteur

Matthieu Caron

Matthieu Caron

Directeur du département Éthique des affaires