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Entretien

Frais de justice de Claude Guéant :

La protection fonctionnelle de l'Élysée doit être mieux encadrée !

Révélée par le récent rapport de la Cour des comptes sur la présidence, l’augmentation vertigineuse des frais de justice réglés par l’Elysée à des collaborateurs mis en cause a interpellé Emmanuel Aubin, professeur de droit public et membre de l’Observatoire de l’éthique publique. Pour Capital, il suggère des pistes qui permettraient d’améliorer la transparence de cette pratique et de limiter l’usage des deniers publics.

Frais de justice de Claude Guéant :
Orban Thierry/ABACA

2.352 euros en 2018, 159.766 euros en 2019. En un an, le montant de la protection juridique apportée par l’Elysée à ses collaborateurs actuels ou passés a été multiplié par 68, selon le rapport annuel de la Cour des Comptes sur la présidence de la République. Une forte augmentation qui s’explique notamment par la prise en charge des frais d'avocats d’au moins deux ex-collaborateurs de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Emmanuelle Mignon, mis en cause dans l’affaire des sondages de l'Elysée. Cette affaire comprise, le Château a conclu 14 conventions de protection fonctionnelle avec divers avocats et provisionné près de 490.000 euros à ce titre, en prévision des exercices budgétaires à venir. Si le principe de la protection fonctionnelle des collaborateurs repose sur une obligation légale qui s’impose à la présidence, sa mise en oeuvre gagnerait à être mieux circonscrite et plus transparente, selon Emmanuel Aubin, professeur de droit public et membre de l’Observatoire de l’éthique publique.

Capital : Les frais d’avocats des collaborateurs de l’Elysée sont payés avec l’argent du contribuable. A ce titre, les noms des personnes qui en bénéficient devraient-ils être systématiquement révélés au grand public ?

Emmanuel Aubin : Il paraît normal que l’Etat ne communique pas le détail des affaires en ne dévoilant pas les noms des collaborateurs concernés, car il s’agit de procédures en cours. De plus, les conventions conclues par l’Elysée sont protégées par le secret professionnel des avocats. En revanche, je pense qu’au nom de la transparence publique, il serait utile de dévoiler le montant exact affecté à chaque convention d’avocat (14 ont été signées en 2019) et à chaque affaire, plutôt que de communiquer un chiffre global, comme celui qui figure dans le rapport de la Cour des comptes.

Capital : L’Elysée a provisionné près de 490.000 euros en vue du règlement des frais d’avocats dans les 14 conventions “actives”. Est-ce trop ?

Emmanuel Aubin : C’est indéniablement une somme très importante, voire excessive. Certes, il y a des procédures complexes qui peuvent coûter cher et la présidence compte tout de même une cinquantaine de collaborateurs, particulièrement exposés. Cependant, il faut veiller à l’usage raisonnable des deniers publics. A ce titre, il ne serait pas superflu d’instaurer un plafond au provisionnement de la protection fonctionnelle, dont le montant serait inscrit dans le budget annuel de l’Elysée.

Capital : Vous considérez que le spectre de cette protection fonctionnelle gagnerait à être mieux encadré ?

Emmanuel Aubin : Selon la Cour des comptes, l’Elysée aurait décidé de réserver cette protection aux personnels en fonctions, et donc de ne plus l'accorder, à l'avenir, aux anciens personnels, sauf si ces derniers ne sont pas fonctionnaires ou s'ils sont à la retraite. C’est un premier pas intéressant. La logique appliquée jusqu’alors par les services de l’Elysée devait être la suivante : tout collaborateur, quelle que soit son origine professionnelle, doit être protégé lorsqu’il est mis en cause en raison de ses fonctions au service de la présidence de la République, sauf s'il a commis une faute personnelle. Le virage restrictif amorcé par le Château devrait, à terme, alléger le montant des dépenses consacrées à la protection fonctionnelle.

Capital : Vous déplorez également une trop grande opacité dans l’octroi de la protection fonctionnelle...

Emmanuel Aubin : Normalement, toute administration qui finance une protection fonctionnelle doit, en aval de son octroi, s’assurer que l’agent n’a pas commis de faute personnelle. Quand il s’avère finalement que c’est le cas, la prise en charge est arrêtée. De son côté, l’Elysée procède-t-il à cet examen à posteriori ? La protection fonctionnelle a-t-elle déjà été retirée à certains agents publics, dont la faute personnelle aurait été mise à jour ? Nul ne le sait. Pour éviter ces zones grises, il serait utile qu’une autorité indépendante, un référent déontologue de la présidence, par exemple, comme l'a suggéré l'Observatoire de l'Ethique publique, apporte une expertise confidentielle, qui permettrait de juger du bien-fondé de la mise en oeuvre d’une protection. Et de l’accorder, ou non.

Ainsi, cette pratique entrerait dans un cercle plus vertueux et transparent. J’ajoute un dernier point : il semble essentiel de modifier la législation afin que l’Elysée puisse obtenir le remboursement des frais de justice lorsqu’un collaborateur a été définitivement condamné pour un manquement qui met en cause sa probité. En l’état actuel, cela n’est pas possible, alors même que ces sommes ont été avancées par le contribuable.

 

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Publié le 12/08/2020 ∙ Média de publication : Capital

L'auteur

Emmanuel Aubin

Emmanuel Aubin