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Ingérences étrangères : le Parlement européen à "l'ère du soupçon"

L’affaire de corruption impliquant le Qatar et le Maroc a révélé le manque de transparence au sein de l’institution. Depuis ces révélations, les langues se délient sur les pratiques de nombre d’élus.

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Ces derniers jours, la mémoire leur est revenue. De nombreux élus du Parlement européen ont soudain notifié à l’administration des informations qu’ils sont tenus de donner mais qu’ils avaient « oublié » de fournir à temps. Certains ont signalé un voyage effectué à l’invitation d’un Etat étranger, d’autres ont déclaré des cadeaux reçus. Même la présidente de l’institution, Roberta Metsola, a procédé à cette mise à jour, alors que ses prédécesseurs ne se sentaient pas concernés par cette obligation. « Mme Metsola ne garde pas les cadeaux qu’elle reçoit, elle les remet tous à l’administration », précise son porte-parole.

Depuis les révélations sur les tentatives d’ingérence du Maroc et du Qatar, menées à coups de liasses de billets – 1,5 million d’euros ont été découverts jusqu’ici –, de présents et de billets d’avion, les eurodéputés veulent se montrer irréprochables. Leur précipitation à se mettre en règle illustre les lacunes d’une institution autorégulée où les élus décident des règles qu’ils doivent appliquer, vérifient si elles le sont effectivement et conviennent d’éventuelles sanctions. Sans l’enquête belge, qui a révélé le scandale, « le train-train aurait continué », assure un fonctionnaire européen. « La justice belge a fait ce qu’apparemment le Parlement n’a pas fait », a regretté Alexander De Croo, le premier ministre belge.

Aujourd’hui, une vice-présidente (déchue) du Parlement européen, la socialiste grecque Eva Kaili (exclue de son parti, le Pasok), et son compagnon, l’assistant parlementaire Francesco Giorgi, sont en prison. Tout comme l’ancien élu socialiste italien Pier Antonio Panzeri, acteur principal de l’organisation mise au jour. Cet homme, qui, à en croire l’un de ses anciens collègues, avouait parfois « ne pas toucher une bille » dans certains domaines de la politique étrangère, a convaincu plusieurs régimes qu’il pourrait leur être utile. Deux autres eurodéputés socialistes, l’Italien Andrea Cozzolino et le Belge Marc Tarabella, encore protégés par leur immunité parlementaire, sont également dans le collimateur du juge d’instruction Michel Claise.

« La confiance dans le Parlement européen qu’on a mis vingt ans à construire a été détruite en quelques jours », confiait récemment au Monde Roberta Metsola. Les Européens ont découvert, stupéfaits, des pratiques qu’ils pensaient être d’un autre temps. « Il faut arrêter de faire semblant de découvrir l’ampleur d’un problème qui était largement connu », s’agaçait, le 3 janvier, la députée écologiste belge Saskia Bricmont. A chaque fois qu’un conflit d’intérêts ou un autre comportement répréhensible a été signalé, « les conséquences ont été quasi nulles. Parce que des parlementaires sont eux-mêmes chargés du suivi des conflits d’intérêts chez leurs collègues ». Quant aux rares assistants parlementaires qui ont tenté d’alerter sur une situation anormale, ils ont perdu leur emploi.

« Un problème structurel »

« Je pense que d’autres affaires vont sortir car il n’y a pas de raison que la Russie, la Chine ou d’autres puissances n’aient pas recours aux mêmes pratiques que le Qatar ou le Maroc. Il y a, au Parlement européen, un problème structurel », juge Raphaël Glucksmann (S&D), qui préside la commission sur les ingérences étrangères. Secoué par la crise qu’il traverse, le Parlement doit se rendre à l’évidence : « Les ingérences étrangères ne sont pas traitées », diagnostique Stéphane Séjourné, le président du groupe des libéraux (Renew).

« Beaucoup d’eurodéputés veulent que leur Parlement soit la maison du peuple, qu’elle soit ouverte. Mais l’ouverture, le premier qui la demande, c’est Poutine ! », renchérit sa collègue Nathalie Loiseau. « Pendant vingt ans, convaincues de ne plus avoir d’ennemis, les élites européennes ont fait preuve d’une naïveté confondante et d’une légèreté coupable », appuie Raphaël Glucksmann. A dire vrai, pendant longtemps, l’Assemblée n’avait que peu de pouvoirs et l’enjeu de sa régulation semblait secondaire. Mais les choses ont changé, sans que l’institution s’adapte à une nouvelle donne qui, en revanche, n’a pas échappé à tous ceux pour qui le travail de l’institution peut avoir des conséquences, dont les pays tiers. Outre 25 000 lobbyistes, Bruxelles héberge aujourd’hui 8 000 diplomates.

En 2015 déjà, Katharine Ainger, une journaliste mandatée par l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), avait détaillé la manière dont des lobbyistes et autres spécialistes de la communication tentaient de « blanchir » à Bruxelles l’image de régimes dictatoriaux comme le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan ou le Bangladesh. Ils travaillaient aussi à défendre les intérêts de la Russie ou du régime ukrainien corrompu de l’époque. L’année suivante, les principaux groupes politiques de l’Hémicycle (conservateurs du PPE, socialistes, libéraux) avaient pourtant refusé d’instaurer un registre obligatoire rendant compte des contacts entre représentants de gouvernements étrangers et eurodéputés, sur le modèle de ce qui existe pour les entreprises ou les ONG.

Manque de discipline

Aujourd’hui, les relations avec des pays tiers sont certes soumises à quelques règles mais leur respect reste aléatoire. Les « oublis » concernant la mention des voyages auxquels sont conviés les élus sont légion mais, à ce jour, seuls deux fautifs ont été sanctionnés. Marc Tarabella et Marie Arena, deux proches de M. Panzeri, qui ont reconnu tardivement s’être rendus au Qatar aux frais de l’émirat, devraient l’être en février. Les eurodéputés ne sont pas plus disciplinés quand il s’agit de déclarer les cadeaux qu’ils reçoivent (ils sont censés refuser ceux de plus de 150 euros) : en 2022, seuls neuf d’entre eux ont jugé utile de le faire.

Pour le reste, les élus n’ont pas de comptes à rendre et ne doivent pas informer de leurs rendez-vous avec des diplomates, même ceux qui représentent des pays tiers ; lesquels peuvent accéder au Parlement, sans s’inscrire dans un registre.

« Aucun registre et aucune autre obligation n’auraient empêché le scandale actuel. Ne jetons pas immédiatement le bébé avec l’eau du bain : il est normal, en démocratie, que l’on cherche à exercer une influence mais, en l’occurrence, nous avons affaire à de la corruption. Ce sont deux choses très différentes », insiste la députée néerlandaise libérale Sophie in ’t Veld.

« Je suis l’objet de démarches à peu près quotidiennes. Il n’y a rien de choquant à ce que des ambassades nous sollicitent pour des entretiens mais cela nécessite de la vigilance quand il s’agit de pays réputés sensibles, avec lesquels l’Europe a des contentieux, qui sont l’objet de sanctions ou figurent sur des listes noires », relate Arnaud Danjean (LR), qui siège à Strasbourg depuis 2009. « Je refuse tout contact par l’entremise de cabinets de conseil et de relations publiques. La ligne rouge, c’est évidemment la sollicitation matérielle ou l’offre de voyages », poursuit ce spécialiste des questions de défense et de politique étrangère, qui rappelle qu’il « dispose d’une allocation annuelle pour régler [ses] frais ».

« Pas par bonté d’âme »

Une fois par mois, à chaque séance plénière à Strasbourg, les eurodéputés votent sur des résolutions qui dénoncent des situations d’abus de droits humains dans le monde. Elles n’ont aucune valeur législative mais elles permettent au Parlement d’exister en matière de politique étrangère et sont scrutées de très près par les régimes autoritaires.

Le 18 janvier, d’ailleurs, malgré le scandale actuel dont Rabat assure qu’il n’est fondé sur aucune preuve, des parlementaires marocains ont fait le déplacement dans la capitale alsacienne alors que l’Hémicycle se préparait, pour la première fois depuis plus de vingt ans, à voter une résolution sur la liberté de la presse dans le royaume. Preuve de leur savoir-faire, leurs commentaires sur le texte en préparation sont parvenus à des groupes politiques avant même que ceux-ci n’aient reçu le projet de résolution…

« Quand on a un dossier en commission affaires internationales, on voit venir de différents groupes politiques les mêmes amendements, à la virgule près, fournis, clé en mains, par des lobbys. Et si ceux-ci agissent ainsi, ce n’est pas par bonté d’âme… », cingle Raphaël Glucksmann. Car les régimes autoritaires n’aiment pas qu’on abîme leur image. « Les Européens se moquent bien de nos résolutions, mais elles ont un vrai impact pour les pays tiers, où nous sommes vus comme la voix de l’Europe », analyse l’élu français.

La Grecque Eva Kaili n’avait pas ménagé ses efforts pour tenter d’adoucir le texte condamnant les conditions de travail au Qatar à l’heure de la Coupe du monde et persuader ses collègues de ne pas le voter. Elle a convaincu nombre d’élus socialistes mais n’a pu empêcher l’adoption du texte. Des témoins se rappellent que la députée avait également essayé de « torpiller » un texte dénonçant la corruption au Liban, un pays où l’Iran est un acteur influent. Eva Kaili « tapait » aussi fréquemment sur les Emirats arabes unis, en conflit avec le Qatar.

Une conseillère du RN réputée proche du Kremlin

Sans aller jusqu’à offrir des sacs de billets, les Etats tiers peuvent utiliser les failles d’une régulation « light » pour faire entendre leur voix au Parlement. De l’influence à l’ingérence, certains franchissent le pas. Dans le cadre des auditions de la commission sur les ingérences étrangères, « la police belge nous a parlé d’eurodéputés qui se font, comme par hasard, accoster par de jolies filles », confie Raphaël Glucksmann.

Autre tactique : faire entrer l’un des leurs au sein du personnel. En mars 2021, Arnaud Danjean écrivait à David Sassoli, alors président du Parlement, pour lui signaler qu’une conseillère franco-russe du Rassemblement national assistait à des réunions consacrées à la défense ou à la Russie et avait ainsi accès à des informations sensibles. Quelques mois plus tard, Nathalie Loiseau adressait un courrier sur le même sujet à Roberta Metsola.

La Maltaise a bien demandé au groupe politique d’extrême droite ID, souvent très pro-Poutine et pour qui travaille aujourd’hui la jeune femme, de ne plus l’associer à des sujets aussi stratégiques. Il semble qu’elle n’ait pas été totalement entendue, même après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le CV de Tamara Volokhova devrait pourtant inspirer une certaine défiance. Cette ancienne mannequin, réputée proche du Kremlin, a organisé et participé à plusieurs déplacements en Russie ou en Crimée annexée d’élus lepénistes, pour lesquels elle a travaillé. Comme Aymeric Chauprade ou Thierry Mariani.

Dans le même registre, Nathalie Loiseau a obtenu en 2022 le départ d’un stagiaire du secrétariat de la commission des affaires étrangères, qui était aussi chroniqueur sur RT, le média russe aujourd’hui interdit en Europe. « Je m’en suis rendu compte par hasard », raconte la députée, qui regrette que les recrutements au Parlement se fassent sans enquête préalable. L’ex-ministre des affaires européennes évoque aussi les réunions à huis clos de la commission sécurité et défense, qu’elle préside : avant qu’elle l’interdise, des députés prenaient en photo des documents. « Je ne sais pas à qui ces photos étaient destinées, mais les intéressés étaient, en tout cas, des élus pro-Poutine… »

Des relais d’influence

Le Chinois Gai Lin travaillait, lui, dans l’équipe du conservateur britannique Nirj Deva, qui a siégé à Strasbourg de 2009 à 2019. Il l’avait convaincu, en 2006, de créer un groupe d’amitié Union européenne-Chine. A côté des délégations, soumises à des règles strictes, ces structures informelles permettent à des élus d’entretenir des relations étroites avec un pays tiers. Elles ne sont recensées nulle part sur le site du Parlement et évoluent en parallèle de l’institution.

En théorie, les groupes d’amitié ne s’expriment pas au nom de l’Assemblée mais cette subtilité échappe largement aux citoyens européens et à ceux des pays tiers. « Quand on est arrivé au Parlement, en 2019, plusieurs d’entre nous ont été sollicités. Des élus faisaient la retape », se souvient Nathalie Loiseau. « Certains de ces groupes d’amitié ont été fortement suspectés de n’être que des relais d’influence, politiques et mercantiles, bien au-delà des nécessaires dialogues diplomatiques », analyse Arnaud Danjean.

Le groupe UE-Chine, dont Gai Lin, malgré ses liens avec le ministère chinois des affaires étrangères, était le secrétaire général jusqu’à sa dissolution fin 2020, fait partie de ceux-là. Nirj Deva, comme son successeur à la tête de cette enceinte, le Tchèque Jan Zahradil (du groupe eurosceptique ECR) – pour qui Gai Lin travaille encore aujourd’hui – ont dépensé beaucoup d’énergie à défendre les positions de Pékin, sur le Tibet, les Ouïgours, Huawei ou les « nouvelles routes de la soie ». Ils ont été conviés à plusieurs reprises en Chine. Ils ont même organisé, en 2019, au Parlement, des expositions vantant les succès de l’empire du Milieu dans la lutte contre la pauvreté ou relatant de manière partiale les expéditions chinoises dans l’océan Indien au XVe siècle.

Les dirigeants du groupe d’amitié, qui a rassemblé jusqu’à 46 eurodéputés, ont « agi pour servir les desseins du parti, et ce contre les valeurs et les intérêts européens. Ils ont défendu un rapprochement de l’Europe avec la Chine dans des domaines qui pouvaient poser des problèmes de sécurité et ont promu l’initiative des routes de la soie », détaille un rapport consacré à la politique d’ingérence du Parti communiste chinois, publié en juillet 2020 par le Center for Strategic and Budgetary Assessments (CSBA), un groupe de réflexion basé à Washington.

La Chine, « rivale systémique »

Face aux critiques à l’égard du groupe d’amitié UE-Chine, Jan Zahradil a fini par le suspendre, fin 2020. « La paranoïa sur la Chine me rappelle l’atmosphère de la Tchécoslovaquie communiste des années 1970 et 1980 », tweetait-il, le 29 janvier 2021. En réalité, la pandémie de Covid-19 et la montée en puissance d’une Europe moins naïve semblent avoir convaincu la Chine de rendre moins visible sa présence à Bruxelles. Qualifiée depuis 2019 de « rivale systémique » par l’UE, elle a confirmé son éloignement en imposant des sanctions à plusieurs députés, diplomates et universitaires européens.

Pékin a sans doute aussi constaté que le groupe d’amitié UE-Chine n’avait pas réussi à infléchir l’agenda législatif européen. Il lui a, en revanche, permis de communiquer, en interne, sur la prétendue bienveillance de l’Assemblée européenne : les élus concernés, présentés comme les porte-parole du Parlement, sont devenus les instruments de sa propagande. « Le PC chinois a exploité un groupe d’amitié qui n’était pas surveillé, n’avait de compte à rendre à personne et opérait dans une zone grise de la politique », résume le CSBA.

Le gouvernement marocain, aussi, a longtemps été friand de cette manière d’exercer un soft power. Le groupe d’amitié UE Maroc a pu compter sur l’engagement sans faille du Français Gilles Pargneaux, élu à Strasbourg de 2009 à 2019. Reçu à plusieurs reprises dans le royaume chérifien, plusieurs fois décoré par le palais, l’ex-eurodéputé socialiste a notamment défendu la position marocaine sur le Sahara occidental, ce territoire que revendique également le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Selon L’Humanité, il était en contact avec une espionne marocaine présumée, Kaoutar Fal, expulsée de Belgique en 2018.

« Le lobbyiste le plus forcené du Maroc »

Sur Twitter le 14 décembre 2022, son ancienne collègue portugaise Ana Gomes l’a décrit comme « le lobbyiste le plus forcené du Maroc ; il se présentait lui-même comme le “conseiller de sa majesté le roi” ». Aujourd’hui, Gilles Pargneaux, qui a créé une ONG, continue à arpenter les couloirs du Parlement pour défendre ses amis marocains. Car c’est une autre faille du système : les députés reconvertis en lobbyistes peuvent accéder sans restriction à leurs ex-collègues. Ce dont Panzeri ne s’est pas privé, lui que Mme Gomes décrit aussi comme « un agent du Maroc », toutefois « plus fin et plus malin » que son collègue français.

Le groupe d’amitié UE-Maroc n’a pas survécu au départ de Gilles Pargneaux en 2019 mais l’eurodéputé Renew Dominique Riquet s’y référait encore, dans un entretien au journal marocain L’Opinion, le 2 février 2021. Il déclarait au sujet du Sahara occidental : « Le groupe d’amitié UE-Maroc fonctionne bien et nous défendons régulièrement les positions du Maroc », et de préciser que « tous les accords qui leur sont relatifs, et notamment ceux de la pêche, sont votés favorablement, sans difficulté ». Interrogé, il explique aujourd’hui : « Je fais de la politique, j’ai des convictions, je les exprime. Je crois que le Maroc est un élément important de l’équilibre en Afrique et au Sahel. »

A en croire l’ex-eurodéputé José Bové, les autorités de Rabat ne se sont pas contentées d’œuvrer par le biais du groupe d’amitié UE-Maroc. Dans un livre sur les lobbys, Hold up à Bruxelles (La Découverte, 2014), coécrit avec Gilles Luneau, il affirmait avoir subi des pressions du royaume chérifien lorsqu’il était le rapporteur, en 2011-2012, d’un texte sur la libéralisation du commerce des produits agricoles et de la pêche entre l’UE et le Maroc. Alors qu’il appelait à rejeter l’accord, raconte l’ancien élu, Aziz Akhannouch, le ministre de l’agriculture marocain, aujourd’hui premier ministre, lui aurait proposé une rencontre afin de lui remettre un « cadeau ». La conversation se serait achevée quand José Bové lui a donné rendez-vous chez son avocat… Le 20 décembre 2022, M. Akhannouch a annoncé avoir porté plainte pour « diffamation ».

Aucune résolution défavorable au Maroc

Le Maroc a-t-il également utilisé la structure plus officielle et encadrée qu’est la délégation UE-Maghreb pour défendre sa cause ? Il y compte en tout cas des amis puisque Andrea Cozzolino a succédé à Pier Antonio Panzeri à sa présidence. Une chose est sûre, le royaume veille scrupuleusement, et depuis de longues années, à la défense de ses intérêts à Bruxelles, où il a d’ailleurs fait travailler, successivement, quatre cabinets de conseil. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Seule certitude, pendant plus de vingt ans, jusqu’au 18 janvier, le Parlement européen n’a pas jugé utile de voter la moindre résolution défavorable au Maroc.

Groupes d’amitié, délégations, les pays tiers qui veulent influencer le Parlement ne se privent d’aucun instrument. Le Qatar, en plus du cercle de Panzeri au cœur du scandale, avait également créé un groupe d’amitié UE-Qatar, qui n’a pas été mis en cause, mais a néanmoins été suspendu en décembre 2022 et dont l’ambassade vient d’effacer de son site la liste des participants. Quelques jours plus tôt, son président, l’eurodéputé (Renew) Jose Ramon, était à Doha, comme il l’a fait savoir à l’administration, pour assister à un match de la Coupe du monde.

Volonté de riposte à l’influence qatarie ? L’installation en 2017, dans la capitale belge, du discret Bussola Institute, une « structure de recherche indépendante » visant à établir une « relation forte » entre l’UE et le Conseil de coopération du Golfe, intrigue. Selon l’ONG CEO, cette structure œuvrerait surtout à la défense des intérêts des Emirats arabes unis. Avec un « conseil d’honneur » où siègent deux anciens premiers ministres, le Français François Fillon et l’Espagnol José Maria Aznar, ainsi que l’ancien secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen.

Avec le scandale sur lequel la justice belge enquête, aidée par Panzeri qui a accepté le statut de repenti, « les langues se délient », constate Raphaël Glucksmann. Et chaque vote sera désormais décortiqué à l’aune des lacunes que cette affaire a révélées. Dominique Riquet redoute, lui, « l’ère du soupçon, car le soupçon, c’est un élément totalitaire, pas démocratique ». « Si toute conviction exprimée est entachée d’un doute quant à une corruption, cela devient dangereux », poursuit l’ex-maire de Valenciennes.

« On peut craindre beaucoup de choses, dont la confusion entre influence et corruption, mais le plus préoccupant, c’est ce que retiendra l’opinion publique, à un an de l’élection européenne », corrige Arnaud Danjean. Alors que le Parlement est la seule institution communautaire élue au suffrage universel, « toutes les activités parlementaires risquent d’être frappées de suspicion », poursuit-il.

 

Nouvelles règles de transparence, codes de conduite, registres pour toutes les activités, y compris étatiques, de lobbying, réforme de l’accès au Parlement pour ses anciens membres, réforme des groupes d’amitié : les idées ne manquent pas. Et ne sont pas toutes vraiment neuves. Seront-elles, cette fois, concrétisées ? « Le débat sera sans doute sanglant », prédit un cadre du PPE.

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Publié le 23/01/2023 ∙ Média de publication : Le Monde