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JO 2024 :

surveillons la "vidéoprotection"

En vigueur depuis fin août, la loi sur la vidéosurveillance algorithmique prévue pour le JO 2024 pourrait être intégrée au droit commun alors qu'aucune évaluation indépendante n'a été envisagée, alerte Raphaël Maurel, secrétaire général de l'Observatoire de l'éthique publique.

JO 2024 :
Lors du rassemblement contre l'organisation des Jeux olympiques de Paris organisé par Saccage 2024, à Paris, le 6 février 2021. (Jérôme Leblois/Hans Lucas)

Le débat sur la «vidéoprotection algorithmique» ne fait que débuter en France. Après la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et son décret d’application du 28 août dernier, Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports, a annoncé le 24 septembre que l’expérimentation de la vidéoprotection augmentée pourrait être pérennisée après les Jeux si «elle fait ses preuves». Dans ce contexte, personne ne doute un instant que l’expérimentation sera prolongée par une intégration dans le droit commun. D’abord, il est rarissime que les expérimentations législatives proposées par le gouvernement ne fassent pas l’objet d’une loi de pérennisation, particulièrement dans le domaine de la sécurité qui cristallise les peurs. D’autre part, tous les éléments conduisant à une pérennisation sont déjà en place.

En effet, la loi du 19 mai ne se limite à l’organisation des Jeux olympiques ni sur le fond, ni sur la forme. Elle prévoit la possibilité d’utiliser la vidéoprotection algorithmique pour des événements qui n’ont rien à voir avec le sport (comme des manifestations culturelles), potentiellement à l’autre bout du monde (l’article 19 du décret du 28 août prévoit l’application de la loi à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore dans les îles Wallis et Futuna), et le tout bien après la fin des Jeux puisque l’expérimentation est étendue jusqu’à fin mars 2025.

A l’agenda du gouvernement

Même l’étude d’impact de la loi indiquait, dès son dépôt fin 2022, que «des mesures pérennes auraient pu être envisagées» mais que «la nouveauté du recours par des autorités publiques à ce type de dispositif a incité le gouvernement à privilégier la voie de l’expérimentation», ce qui lui permettra «d’évaluer, au terme prévu dans la loi la pertinence de l’outil et l’opportunité le cas échéant de concevoir un cadre juridique pérenne».
Rien d’étonnant, donc, à ce que la pérennisation figure déjà à l’agenda du gouvernement.

La mécanique est ancienne : la «vidéoprotection» a été intégrée dans le droit français par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Alors que le rapport initial évoquait la nécessité d’un «cadre juridique pour l’usage de la vidéosurveillance, qui constitue un moyen de renforcer la sécurité de la voie publique et des lieux ouverts au public», c’est le terme «vidéoprotection», peut-être plus acceptable car orienté vers l’idée d’une protection du citoyen plutôt que d’une surveillance, qui a été retenu.

L’extension prévisible des traitements algorithmiques des images des milliers de caméras qui filment en continu les rues de nos villes doit interroger : en induisant que des dangers dont il faut prémunir le citoyen préexistent et le guettent en permanence, le terme «protection» ne contribue-t-il pas à créer un contexte social anxiogène, facilitant une réponse techno-sécuritaire ? L’utilisation même du néologisme «vidéoprotection» ne génère-t-elle pas la nécessité d’aller toujours plus loin dans ce qui n’est rien d’autre que de la «surveillance» généralisée, quoi qu’on en dise ? La pérennisation écrite de la vidéoprotection algorithmique, tout comme l’édifiante proposition de loi relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public adoptée par le Sénat en juin 2023 et actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale, en sont en tout cas des indices forts.

Quid de la pertinence du dispositif ?

A la confusion linguistique devraient répondre des outils rigoureux d’évaluation de cette technologie. Rien de tel n’est envisagé. Le décret du 28 août est dangereusement imprécis, prévoyant par exemple la possibilité d’utiliser la vidéoprotection algorithmique pour identifier automatiquement une «densité trop importante de personnes», la préfecture étant compétente pour déterminer ce que cette expression peut recouvrir. Par ailleurs, aucun dispositif d’évaluation de ce nouvel outil n’est prévu. Si la Cnil, déjà débordée, est censée contrôler l’application de la loi, sa mission n’est pas d’évaluer la pertinence du dispositif. La pertinence du rapport d’évaluation de la mise en œuvre de l’expérimentation par le gouvernement est pour sa part questionnable, puisqu’il doit être remis au Parlement «au plus tard le 31 décembre 2024», soit trois mois avant la fin de l’expérimentation. Aucune évaluation indépendante finale n’est donc envisagée. Dans ce contexte, comment évaluer le caractère «concluant» de l’expérimentation ?

Le législateur aurait dû prévoir la création d’un Observatoire de la vidéoprotection algorithmique, rattaché le cas échéant au Conseil national du numérique, et créer les conditions d’un débat national sur ce thème. Il n’est pas trop tard ; encore faut-il se saisir massivement et urgemment de ce sujet, avant que les rouages de l’Etat sécuritaire rendent impossible un retour en arrière.

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Publié le 02/10/2023 ∙ Média de publication : Libération

L'auteur

Raphaël Maurel

Raphaël Maurel

Directeur Général