Nouvelle-Calédonie : un pari « historique » à l’épreuve du terrain
L’accord de Bougival, signé le 12 juillet 2025, ambitionne de redéfinir l’avenir de la Nouvelle-Calédonie par une souveraineté partagée. Salué mais aussi critiqué, il devra avant tout convaincre sur le terrain. Propos recueillis par Géraldine Woessner Publié le 15/07/2025 à 06h30

Un nouveau chapitre s'ouvre pour la Nouvelle-Calédonie… Mais il n'est pas encore écrit. Signé le 12 juillet 2025 après dix jours de négociations intenses par le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, et les six délégations indépendantistes et non indépendantistes du territoire, l'accord de Bougival (Yvelines) sur le futur « État de la Nouvelle-Calédonie » veut tracer une voie inédite : un État, une nationalité, une loi fondamentale et des pouvoirs locaux renforcés…
L'ancien député socialiste et ancien rapporteur du statut de la Nouvelle-Calédonie René Dosière salue un accord « historique », héritier des accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998). Mais un accord qui émerge dans un archipel miné par la crise économique et les émeutes de 2024, et dont la légitimité repose sur un référendum prévu en février 2026, dans un climat de tensions persistantes.
Le Point : Peut-on parler d'un accord historique ?
René Dosière : C'est un accord non seulement historique, mais courageux et responsable. Il est historique parce qu'il est valable dans la durée, sans limite dans le temps. Il marque la fin des référendums à répétition, organisés tous les cinq ou dix ans pour décider, ou non, de l'indépendance. Le statut fixé pour la Calédonie évoluera désormais selon les décisions des responsables locaux et de la population calédonienne. Ce sera la première fois dans l'Histoire que la France parviendra à mettre un terme à une colonisation de manière pacifique.
Cette nouvelle étape s'inscrit dans la lignée des accords de Matignon de 1988 et de Nouméa de 1998. Et elle sera à mettre au crédit de François Bayrou. Car si Manuel Valls a conduit les discussions comme ministre des Outre-mer, le pilotage a été assuré par le Premier ministre, et plus particulièrement par son conseiller spécial Éric Thiers.
Le président de la République s'y est finalement résigné, ce qui est une bonne chose car nous étions dans une situation de blocage, avec deux groupes frontalement opposés, les Kanaks indépendantistes et les Européens non-indépendantistes, contraints de répondre par oui ou par non à des référendums – c'était la faiblesse de l'accord de Nouméa. L'accord de Bougival va permettre une approche plus complexe et nuancée.
Quels sont les grands axes de cet accord ?
Il repose sur quatre piliers fondamentaux. Premier pilier : la Calédonie devient un État, l'« État de la Calédonie ». Il sera reconnu par la communauté internationale et aura des compétences internationales dans les domaines de compétence calédoniens. Il n'aura pas de vote à l'ONU dans l'immédiat, naturellement, mais la possibilité reste ouverte que cette question soit posée ultérieurement : cela dépendra de la volonté des Calédoniens.
Deuxième pilier : la nationalité calédonienne. Pour voter aux élections calédoniennes, il faudra posséder cette nationalité, qui n'est pas séparable de la nationalité française. Impossible d'être Calédonien sans être Français. Si quelqu'un renonce à la nationalité française – certains Kanaks pourraient le vouloir – il perdrait automatiquement le droit de vote en Calédonie.
Troisième pilier : une loi fondamentale. L'État calédonien disposera de sa propre « Constitution » – appelée « loi fondamentale » pour éviter la confusion avec la Constitution française. Cette loi définira l'organisation de l'État, ses compétences, le choix de son nom, de son drapeau, et permettra de modifier les répartitions entre le Congrès et les provinces.
Enfin le quatrième pilier est le renforcement du pouvoir législatif. La Calédonie conserve les pouvoirs législatifs qu'elle détient depuis 1998 – l'Assemblée nationale ne peut déjà plus légiférer dans ses domaines de compétence. Mais ces pouvoirs sont renforcés : la future assemblée législative calédonienne pourra notamment renforcer son propre pouvoir et changer le mode de scrutin. C'est une grande nouveauté, mais pour cela, il faudra qu'une majorité qualifiée de 36 voix se dégage, sur un total de 56 voix. Cette « majorité de blocage » obligera réellement les deux camps à s'entendre pour aller plus loin.
L'accord va également permettre de modifier le corps électoral appelé à voter aux scrutins provinciaux, ce qui était un point de crispation ?
Absolument. Pour les élections de juin 2026 – reportées à cause du blocage sur cette question –, le corps électoral s'élargit d'environ 20 000 personnes. Pourront voter les 12 500 personnes nées en Nouvelle-Calédonie après 1999 et qui n'avaient pas ce droit, et celles résidant sur le territoire depuis au moins 15 ans (contre 10 ans dans les discussions précédentes), soit environ 10 000 personnes supplémentaires.
En réalité, il n'y avait pas vraiment de désaccord sur ce point, mais les indépendantistes acceptaient cet élargissement à condition qu'il s'inscrive dans un accord global. C'est chose faite. Après 2026, la nouvelle assemblée législative calédonienne définira l'extension du corps électoral selon la nationalité calédonienne.
Concrètement, quelles seront les compétences de la Nouvelle-Calédonie avec un tel statut ?
Depuis 1998, la Calédonie détient déjà toutes les compétences « internes » : éducation, santé, fiscalité, économie, législation du travail… L'État conservait les pouvoirs régaliens : monnaie, police, justice, plus partiellement les affaires internationales. L'accord étend les compétences internationales de la Calédonie, sans précision pour l'instant. Pour les autres domaines régaliens, rien ne change dans l'immédiat, mais l'État calédonien pourra demander après 2026 un partage accru des compétences de police et de justice.
L'accord définit une orientation, des principes. Les modalités seront précisées dans une loi organique, comme en 1998 après l'accord de Nouméa que j'avais rapporté. Cette orientation nécessite une réforme constitutionnelle pour acter ces principes : État de Calédonie, nationalité calédonienne, loi fondamentale, et possibilité d'accroître le pouvoir législatif local par des décisions à majorité qualifiée.
N'a-t-on pas tout cédé aux indépendantistes ?
Non, car cet accord est un vrai compromis. Je salue d'ailleurs le courage des responsables des deux camps qui ont fait passer l'intérêt de la Calédonie avant leurs intérêts partisans. Les indépendantistes obtiennent la reconnaissance d'un chemin vers la souveraineté, mais c'est une souveraineté partagée, pas une indépendance-rupture. Et toute évolution à l'avenir nécessitera une majorité que les anti-indépendantistes peuvent bloquer.
Les non-indépendantistes gagnent aussi : liaison indissoluble entre citoyenneté calédonienne et française, nouvelle composition du Congrès à leur avantage – la province Sud, non-indépendantiste par excellence, gagne 5 sièges (37 au total), la province Nord en perd 1, celle des îles en perd 2. Ils disposent d'une majorité de blocage et obtiennent plus de pouvoirs pour les provinces, notamment un pouvoir fiscal propre (jusqu'ici, c'est la Nouvelle-Calédonie qui redistribuait l'argent aux provinces), et la possibilité de créer une police provinciale. L'avenir – une évolution vers plus de souveraineté ou le maintien du statu quo – dépendra uniquement des Calédoniens. Et la démographie en décidera…
L'accord peut-il permettre de sortir de la crise ?
Il faut l'espérer, car sur le terrain la situation est dramatique. Des gens meurent de faim, le chômage est considérable, c'est le chaos économique. Depuis les émeutes de 2024, de nombreux médecins sont partis, il y a des endroits où on ne peut plus soigner. La situation économique est bloquée : sur trois usines de nickel, deux sont quasiment à l'arrêt, la troisième en difficulté. Si l'accord est approuvé, tout le monde pourra enfin travailler dans le même sens pour reconstruire la Calédonie. L'accord comporte un volet économique et social avec des engagements français pour aider à la reconstruction. Cette terre riche en ressources, notamment en nickel, ne peut se développer sans stabilité politique.
L'accord est-il encore fragile ?
Il l'est, évidemment. Les éléments radicaux des deux camps – ceux qui ont participé aux émeutes de 2024 – peuvent rejeter ce compromis, le jugeant soit insuffisant, soit excessif. On perçoit déjà des réactions négatives locales. Les responsables politiques signataires doivent s'engager résolument pour expliquer l'intérêt de cet accord avant le référendum de février. La radicalité est plus facile à porter aujourd'hui, notamment via les réseaux sociaux, dans un contexte de déficit de communication.
Je reste optimiste. Il n'y aura pas l'unanimité – ces radicaux des deux camps représentent peut-être un quart du corps électoral. Mais la majorité des électeurs européens et kanaks peut approuver cet accord. Reste une difficulté, liée à la situation métropolitaine : si le gouvernement Bayrou ne se maintient pas, l'accord ne tiendra pas.
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Publié le 15/07/2025 ∙ Média de publication : Le point
L'auteur

René Dosière
Président - Député honoraire