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Interview

Pierre Meurisse (DGS de Famars)

L’aval est le grand oublié de la commande publique

L'Observatoire de l'éthique publique, dont Pierre Meurisse est membre, publie régulièrement des notes sur la commande publique responsable. La note 45, rédigée par le DGS de Famars (Nord), préconise, dans son intitulé, de « Rendre accessible la commande publique responsable aux collectivités territoriales », ce qui est loin d'être le cas, laisse-t-il entendre. Il formule 11 propositions pour aller dans cette direction.

Pierre Meurisse (DGS de Famars)
Pierre Meurisse

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rédiger cette note ?

Cette idée trotte dans ma tête depuis un colloque organisé il y a quelques mois à Valenciennes par l’Observatoire de l’éthique publique sur l’achat publique local et responsable. Je me suis alors posé la question de savoir si les collectivités se saisissaient des outils de la commande publique pour déployer une démarche écologique et responsable. Or, je me suis rendu compte que ce n’était pas forcément le cas. J’ai voulu savoir pourquoi.

Quelles sont les principales conclusions que vous avez tirées de vos réflexions et des échanges que vous avez pu avoir avec vos collègues ?

Premier point : le portage politique n’est pas toujours là. Il y a un manque de sensibilisation aux enjeux, même si les choses avancent dans la bonne direction. Avant, le critère du prix était le seul déterminant. On voit apparaître dans les appels d’offres de plus en plus de critères environnementaux, mais ça ne suffit pas, la commande publique responsable suggère une approche plus large. Au risque parfois de céder à une propension au green washing, en peignant de vert certaines offres qui ne s’y prêtaient pas forcément.

Deuxième point : le critère du prix reste aussi un élément central, et ce d’autant plus que les finances publiques sont de plus en plus soumises à des restrictions. En fait, cette note s’articule autour d’une conviction personnelle et qui, je crois, est largement partagée, à savoir que nous ne sommes pas compétents pour passer ce type de marchés. Des petites ou grandes communes, cet objectif est difficilement atteignable parce que les acheteurs y sont peu sensibles, pas assez formés à leur utilisation. On passe des marchés comme avant, si j’ose dire, on se consacre beaucoup à l’amont et un peu moins à l’aval, l’acheteur étant concentré sur l’écriture de l’offre pour ne pas commettre d’erreurs. Les cadres territoriaux comme les élus ont peur et en oublieraient presque l’aval.

 

C’est-à-dire ? Le suivi est-il lacunaire une fois le marché passé ?

Dans leur déroulé, certains marchés peuvent interroger. Prenez ceux des cantines scolaires. Il faudrait m’expliquer comment un marché peut intégrer toutes les obligations classiques, à savoir conformes à la loi Egalim, respectant les enjeux gouvernementaux, créant des circuits alimentaires courts avec les producteurs locaux, etc., et assurer noir sur blanc que le prix des repas est de deux euros ! Ça interroge quand même ! Moi, je n’y arrive pas dans ma commune, je tourne autour de 2,50 €. Est-ce que le repas proposé dans la réponse à l’offre est à la hauteur de ce qui est annoncé ?

L’aval serait donc le grand oublié ?

Tout à fait. Aujourd’hui, on ne va pas vérifier suffisamment les marchés. Par manque de compétences et seuls ceux qui sont capables de le faire sont dans le privé, c’est très cher et vous êtes aussi parfois menés par le bout du nez.

Comment ?

À partir du moment où vous confiez un marché à un prestataire externe, il y a tout intérêt à ce que ça se passe bien… des deux côtés ! Or, parfois, six mois après le lancement du marché, on se rend compte qu’il y a quelques lacunes, que certains engagements ne sont pas à la hauteur des attentes. Un œil externe peut repérer ça. Mais parfois, la collectivité va se dire qu’il vaut mieux laisser les choses en l’état. Et la seule personne en capacité de savoir si le marché se passe bien, ça reste le prestataire. Ce dernier lui-même travaille avec d’autres grandes entreprises, il a des relations avec elles, etc. La transparence que l’on réclame aux acheteurs est normal mais elle devrait être la même du côté des prestataires.

Est-ce que les administrés sont de plus en plus sensibles à cette notion de marchés publics et aux conditions dans lesquelles ils se déroulent ?

Oui, je le crois, la population prend de plus en plus en compte les externalités négatives du quotidien. Sur la gestion des déchets, par exemple, les habitants font de plus en plus d’efforts. Ce qui est compliqué, c’est, lors de la passation, de payer quelque chose de très cher avant de l’avoir reçu ! Peu de personne sont à même de savoir lire un marché public. La première chose à faire est de revenir sur ce critère du prix auquel on accorde une trop grande importance. Il faut sortir du dogme du bon acheteur qui l’est et le reste parce qu’il n’achète pas cher.

Comment faire dès lors pour acheter au juste prix ?

Je ne vois que la mutualisation. Une intercommunalité a du personnel plus qualifié que dans une mairie. La technique est du côté de l’EPCI. Les récentes lois de décentralisation ont ajouté des éléments très techniques aux EPCI, qui disposent donc d’un personnel très aguerri. Sans oublier les gains d’échelle sur les prix puisque la mutualisation ou les achats groupés permettent de faire baisser les prix. Les achats publics sont dépolitisés. Tout le monde, de droite comme de gauche, veut que les enfants du territoire mangent bien. Et si des sujets plus clivants surgissent, rien n’oblige une commune d’adhérer au projet. Sur certaines politiques, l’EPCI offre des services à la carte.

Comment ça se passe chez vous, à la CAVM ?

Cette culture de l’achat public responsable infuse. Des réunions ont lieu régulièrement entre le DGS de l’agglo et les directeurs généraux et secrétaires généraux du territoire. C’est là que les directeurs se rendent compte que leurs besoins sont les mêmes. Quel intérêt, dans ce cas, à aller acheter séparément ? C’est un lieu où certaines pratiques des entreprises, parfois en difficulté, vont se savoir. C’est un lieu d’échanges nécessaire.

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Publié le 18/09/2025 ∙ Média de publication : Éditions Weka