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Note#43

Constitutionnaliser la fonction locale du parlementaire

Fichiers

Plutôt que de revenir à de vieilles lunes constitutionnelles, il convient de réfléchir à la manière d’adapter les fonctions du parlementaire à un contexte de tensions politiques mais aussi à une évolution des perceptions citoyennes sur la représentation politique. Dans la perspective de remettre l’élu national au centre du jeu politique, de faire vivre cette dernière dans les territoires et d’offrir une réappropriation citoyenne des enjeux de notre temps, la présente note se propose de constitutionnaliser la fonction locale du parlementaire. Afin d’organiser et de matérialiser cette fonction, elle prévoit également de créer un statut de la permanence parlementaire, de parlementariser la démocratie délibérative en offrant aux élus nationaux la possibilité de consulter directement les électeurs de leur circonscription, et de jouer un rôle pédagogique au sein des établissements scolaires en faisant la promotion de la démocratie et de la citoyenneté. D’autres perspectives sont envisagées à l’instar du droit de pétition citoyenne dans la circonscription, du renforcement des liens entre les élus et les collectivités territoriales, les autorités déconcentrées et les services publics en général, ainsi que du droit de visite accordé aux parlementaires dans certains espaces et établissements privés.

Constitutionnaliser la fonction locale du parlementaire

Au contexte politique actuel, très lourd et tendu, les responsables politiques ont décidé de répondre par de vieilles lunes constitutionnelles qui reviennent inlassablement sur le devant la scène avec les mêmes arguments éculés. Si, en matière culinaire, c’est dans les vieilles gamelles que l’on fait les meilleures confitures, il n’est pas certain que ce soit aujourd’hui les vieilles recettes qui viendront à la rescousse des maux politiques d’aujourd’hui. On attend en vain les innovations institutionnelles, les nouvelles propositions, en somme des idées fraîches !                  

Le débat se focalise aujourd’hui sur le scrutin proportionnel et le cumul des mandats (loi du 14 février 2014) à propos desquels les arguments ont été essorés depuis des lustres et sur lesquels nous n’avons pas l’intention de revenir en détails[1]. Ces deux marottes qui ressurgissent avec les sempiternels arguments en défense et en attaque ont un seul mérite, celui d’avoir porté la réflexion sur le lien entre les élus et leur territoire. Nous avons besoin d’élus nationaux connus et actifs dans les territoires de la République qui établissent le dialogue avec les citoyens et fassent vivre la politique au cœur de leur circonscription.

Quand le scrutin proportionnel n’aurait d’autres conséquences que d’éloigner un peu plus le député de ses concitoyens, le cumul des mandats réinstaurerait un clientélisme électoral, des conflits d’intérêts et favoriserait la concentration du pouvoir entre les mains de quelques barons locaux. Alors que nous étions parvenus à réguler la question du cumul en dépit de l’attachement viscéral des acteurs politiques à cette pratique, il faut à nouveau en débattre, rabâcher les mêmes arguments, remettre sur la table pour la énième fois les avantages et inconvénients… Le cumul des mandats concentre les pouvoirs, crée une implantation personnelle sur le territoire et favorise les longues carrières. En somme, cela réduit la démocratisation des processus électoraux, nationaux comme locaux, et une réelle ouverture de l’activité politique à la société civile. 

Plusieurs travaux ont d’ailleurs démontré que, en 2017 au moment du renouvellement de la classe parlementaire, les novices qui n’avaient jamais fait de politique et n’avaient jamais été élus, étaient très minoritaires. Ils ont d’ailleurs été marginalisés et, pour la plupart, ne se sont pas représentés. Les nouveaux parlementaires élus en 2017 étaient plutôt des élus locaux qui disposaient donc d’une expérience politique solide et d’un ancrage territorial. Si le cumul simultané des mandats ne peut avoir que des effets négatifs, le cumul dans le temps de mandats locaux et nationaux garantit en revanche une bonne expertise des élus et une meilleure qualité de leurs propres travaux. Cela permet d’acquérir une meilleure compréhension des arcanes politiques, de résister davantage à la pression des lobbies et de garantir un véritable investissement dans la vie politique. 

Mais ce n’est pas ce à quoi on assiste avec les renouvellements de 2017 et 2022 – le premier ayant conduit à un renouvellement inédit de l’Assemblée nationale à hauteur de 72 % de nouveaux entrants et le second à hauteur de 52 %. L’élection est devenue un tremplin pour la carrière professionnelle d’un certain nombre de nouveaux entrants à l’Assemblée nationale. De ce fait, on comprend mieux que les élus nationaux ne cherchent pas particulièrement à s’investir dans leur circonscription puisqu’ils n’ont pas l’intention de s’engager à long terme dans la vie politique.           

Or, plutôt que d’accompagner l’application des réformes, et tout particulièrement celle sur le non-cumul des mandats, on a laissé les choses se faire naturellement, et donc ne pas se faire ! D’où l’idée ingénieuse qui se répand dans bien des domaines de détricoter les réformes précédemment adoptées, faute d’effets positifs puisqu’elles n’ont pas été accompagnées de mesures d’application rigoureuses et réfléchies. Plutôt que de relancer le débat sur le non-cumul, ou de relancer l’idée d’un scrutin proportionnel, il aurait mieux valu réfléchir aux moyens de maintenir un lien fort entre les parlementaires et leur circonscription et, de manière générale, avec les citoyens sur l’ensemble du territoire.

C’est la réflexion qu’avait souhaité mener la mission d’information sur le rôle local et l’ancrage territorial des parlementaires créé le 26 mars 2024 par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Elodie Jacquier-Laforge et de la vice-présidente de la commission des Lois, Cécile Untermaier, nommées respectivement Rapporteure et Présidente de ladite mission, mais qui n’aura pas survécu à la dissolution de juin 2024 (Mission d’information sur le rôle local et l’ancrage territorial des parlementaires, clôturée le 9 juin 2024). C’est également la tâche que s’assigne cette note, à savoir réfléchir aux moyens d’améliorer l’ancrage territorial du parlementaire et, par extension, de lui attribuer une véritable fonction locale.

 

[1] Rappelons qu’il ne s’agit d’ailleurs que d’un non-cumul relatif puisqu’il est interdit de cumuler seulement avec un mandat au sein d’un exécutif local, ce qui explique, à la fin 2023, 55 % des députés et 61 % des sénateurs étaient aussi des élus locaux, exerçant un mandat de conseiller municipal, départemental ou régional et qu’un tiers des parlementaires exerçaient même deux mandats locaux.

Fichiers

Publié le 01/07/2025

L'auteur

Jean-François Kerléo

Jean-François Kerléo

Vice-président