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Note #25

Pour l’institution d’un déontologue du Gouvernement

Le 3 août 2019, L’Observatoire de l’éthique publique préconisait la création d’un poste de déontologue du Gouvernement à la suite de « l’affaire » de Rugy. Cette institution, destinée à renforcer la confiance dans l’action gouvernementale, pourrait idéalement voir le jour au lendemain des prochaines élections présidentielles. Depuis l’épisode de Rugy, ce qu’on appelle parfois abusivement les « affaires » ou les « scandales » ont continué à défrayer la chronique et affaibli le pouvoir Exécutif. Il y eut l’« affaire » dite Delevoye sur le cumul d’emplois, l’« affaire Royal » au sujet des ambassadeurs thématiques, l’« affaire » Dupont-Moretti à propos des enquêtes diligentées par le garde des sceaux contre des magistrats, l’« affaire » Dussopt relative aux lithographies que le ministre aurait reçues illégalement, l’« affaire » Lecornu sur les jetons de présence perçus de la part de la société d’autoroute Paris Normandie, l’« affaire » Griset sur les déclaration incomplètes de l’intéressé auprès de la HATVP ou encore la polémique au sujet des vacances à Ibiza de Jean-Michel Blanquer .

Très régulièrement, ces dites « affaires » relèvent davantage de l’éthique que du droit pénal et pourraient être évitées grâce à des pares-feu déontologiques. Force est de reconnaître que le Gouvernement et son secrétariat général, pris dans le feu de l’action, n’ont pas toujours le temps d’anticiper et de déminer les risques de non-conformité au droit et à l’éthique auxquels s’exposent parfois les membres de l’équipe gouvernementale et/ou leurs collaborateurs. C’est pourquoi, il serait salutaire de créer une fonction de déontologue du Gouvernement, spécialement dédiée à ce devoir de vigilance. Seul un déontologue du Gouvernement, œuvrant à temps plein, pourrait effectivement travailler à l’acculturation des acteurs gouvernementaux au réflexe éthique et participer au bon ordre quotidien de la maison gouvernementale. Après avoir lancé l’idée en 2019, L’Observatoire de l’éthique publique présente dans cette note les modalités techniques pour rendre rapidement opérationnelle cette proposition dans les six mois suivant les élections présidentielles de 2022.

Depuis les années 2000, la déontologie a fait son entrée partout : au Parlement, au sein de la magistrature, à la tête des grandes collectivités territoriales et dans l’administration. Au niveau parlementaire, le Sénat a créé un comité de déontologie en 2009 avant que l’Assemblée nationale ne nomme son propre déontologue en 2011. En matière judiciaire, les magistrats ont dû se doter d’un collège de déontologie en 2016, imitant leurs collègues des juridictions financières (2006) et administratives (2012). De même, à la suite de la loi du 20 avril 2016 et d’un décret du 10 avril 2017, le communes, les régions, les départements, les administrations centrales et déconcentrées comme les établissements publics ont appelés à désigner des référents déontologues en leur sein. Au niveau du pouvoir exécutif, il n’existe toujours pas de déontologue. L’idée d’instituer un déontologue du Gouvernement est cependant née à l’occasion de « l’affaire » de Rugy en juillet 2019 à la suite d’une proposition de L’Observatoire de l’éthique publique1 . Après l’épisode Delevoye de décembre 2019, elle a reçu le précieux soutien de Jean-Marc Sauvé2 , vice-président honoraire du Conseil d’État avec lequel nous avons approfondi récemment cette proposition dans le cadre d’un ouvrage académique3 . La proposition d’instituer un déontologue est néanmoins le fruit d’une longue maturation. Elle est à la fois le résultat d’un travail de juristes4 mais surtout du double processus de transparence et de déontologie gouvernementales qui a incubé dès avant les années 2000. Affaires Tapie, Carignon, Gaymard, Guéant, Bettencourt, Cahuzac, De Rugy ou Delevoye : depuis les années 1990, toutes ces dérives ont régulièrement abîmé le lien de confiance entre les Français et leurs gouvernants. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la transparence et la déontologie gouvernementales n’ont pourtant jamais autant progressé en France qu’au cours des trois dernières décennies.

La première pierre de la déontologie gouvernementale fut posée en 1992 avec l’apparition de la fameuse « jurisprudence » dite Bérégovoy-Balladur, laquelle consista à exiger la démission automatique de tout membre du Gouvernement mis en examen par la justice. La deuxième pierre provint de « l’affaire Gaymard » de 2005 qui mit en lumière le no man’s land juridique entourant la question du logement de fonction des membres du Gouvernement et qui conduisit le Secrétariat général du Gouvernement à adopter, au fil du temps, un ensemble de règles applicables à la fonction de membre du Gouvernement. La troisième pierre fut celle de la charte de déontologie des membres du Gouvernement du 17 mai 2012, inaugurée dès les premiers jours du quinquennat du Président Hollande. Mais ces pierres ne résistèrent pas à l’épreuve de l’affaire Cahuzac qui fit la démonstration que la déontologie gouvernementale nécessite d’être gravée dans le droit dur pour être pleinement efficace. Ce fut chose faite avec les lois du 11 octobre 2013. Véritables clés de voûte de la déontologie gouvernementale, les lois du 11 octobre 2013 qui instituèrent la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et qui renforcèrent les contraintes déontologiques pesant sur les acteurs gouvernementaux. Consolidé par les lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, le dispositif des lois d’octobre 2013 a notamment prévu : la publicité des déclarations de patrimoine et d’intérêts des membres du Gouvernement ; la vérification de leur situation fiscale ; l’obligation de confier la gestion de leur patrimoine à un tiers ; l’interdiction de recrutement des entourages familiaux au sein de leurs cabinets, de même que leurs obligations d’abstention et de déport en cas de conflits d’intérêts ainsi que l’encadrement de leur « pantouflage ». De la même manière, dans les années 2010, une amélioration progressive de la transparence des données relatives à la rémunération des personnels affectés en cabinets ministériels a eu lieu et un statut déontologique des membres des cabinets ministériels a timidement émergé. Or, si les fondations de la déontologie gouvernementale ont bien été posées, reste à parachever l’édifice en imaginant une nouvelle institution : celle du déontologue du Gouvernement.

À notre sens, ce déontologue devrait avoir compétence pour traiter de la déontologie des membres du Gouvernement et des membres des cabinets ministériels, ces derniers étant organiquement rattachés à la personne d’un ministre ou d’un secrétaire d’État. En revanche, l’office du déontologue du Gouvernement ne saurait être élargi aux personnes occupant des emplois à la décision du Gouvernement (puisque ces emplois relèvent déjà de l’organe de déontologie du ministère auquel ils appartiennent). Le déontologue du Gouvernement ne serait pas davantage appelé à s’occuper de la déontologie des services du Premier ministre dans la mesure où il existe déjà un référent déontologue pour ces services administratifs. A fortiori, il y a lieu également d’exclure les collaborateurs du Président de la République du champ de compétence du déontologue du Gouvernement, la création d’une instance de déontologie propre à l’Élysée apparaissant plus appropriée. Afin de mesurer l’utilité de la création d’une telle institution pour la République et la démocratie, il convient de penser et de définir son statut (I) ainsi que son périmètre d’action. Nous estimons que le déontologue pourrait exercer des fonctions de conseiller, de démineur et d’éclaireur. Il pourrait en effet exercer une fonction de conseiller en matière d’éthique auprès des membres du Gouvernement et des membres de cabinets ministériels afin que chacun de ces acteurs intériorise progressivement le réflexe déontologique et la culture de la transparence dans leurs pratiques (II). Le déontologue constituerait par ailleurs une vigie de l’ordre intérieur du Gouvernement en contrôlant au quotidien l’organisation gouvernementale (III). Ainsi aurait-il pour office de faire progresser la transparence gouvernementale en traquant les zones de non-droit illégitimes considérées comme de moins en moins légitimes : les zones noires (ou zones de secret), les zones grises (ou zones d’opacité) ainsi que les zones blanches (ou zones de vides juridiques) (IV).

Fichiers

Publié le 17/05/2022

L'auteur

René Dosière

René Dosière

Président

L'auteur

Matthieu Caron

Matthieu Caron

Directeur du département Éthique des affaires

L'auteur

Jean-François Kerléo

Jean-François Kerléo

Vice-président

L'auteur

Raphaël Maurel

Raphaël Maurel

Directeur Général